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ANTA MADJIGUENE NDIAYE PRINCESSE au SENEGAL, esclave ANNA KINGSLEY au pays de L’ONCLE SAM: un destin incroyable!

Anna Kinsleye Ndiaye

Dans « Anna Madjiguène Ndiaye Kingsley », l’historien Daniel L. Schafer a reconstitué l’extraordinaire périple de cette princesse wolofe capturée et vendue à 13 ans à un planteur de Floride.

Devenue une véritable légende du Sénégal, Anta Madjiguene Ndiaye fut capturée en 1806 pour être vendue à un marchand d’esclaves et riche exploitant originaire de Floride, qui fit d’elle sa compagne, mais aussi son bras droit pour administrer ses terres. Son histoire a été reconstituée par Daniel L. Schafer, professeur émérite d’histoire à l’Université de Floride du Nord, dans un ouvrage qui paraît ce jeudi 1er octobre chez Albin Michel, accompagné de cette préface rédigée par Souleymane Bachir Diagne, professeur à l’Université Columbia

Ce livre est l’histoire d’une obsession.

Qui commence en 1972 lorsque Daniel Schafer, qui venait alors d’arriver à Jacksonville pour devenir le premier professeur d’histoire de l’Université de Floride du Nord, fit la visite, en touriste, de la « Plantation Kingsley » située sur l’île de Fort George. Le guide lui servit, ainsi qu’à ses compagnons de tour, le discours bien rôdé racontant l’incroyable histoire d’une princesse du Sénégal, Anna Madgigine Jai, arrivée dans le Nouveau Monde, à La Havane, comme esclave, achetée puis libérée par un planteur de Floride qui la reconnut officiellement comme sa compagne fidèle et la mère de ses enfants, lui laissant à sa mort des biens et son nom : Kingsley. Le propos du guide était cette fois tombé dans l’oreille d’un historien qui vit là une invitation à explorer l’histoire de l’esclavage en Floride pour mettre à jour son inscription dans celle de « l’Atlantique noir », ainsi que l’a nommée Paul Gilroy.

L’aventure de cette enfant esclave (elle avait treize ans lorsqu’elle passa, sur l’île sénégalaise de Gorée par où transitèrent nombre de captifs en partance pour les Amériques, la « Porte du Non Retour » et de l’adieu à la terre africaine) devenue propriétaire de plantation et d’esclaves ne cessa alors de « hanter » – c’est son mot – Daniel Schafer pendant les quarante années qui suivirent sa visite de l’île de Fort George.

Fière fille du royaume du Djolof

Mais de tout cela, l’enfant sut se relever. Elle fut portée d’abord puis soutenue toute sa vie par son nom. Car, plus qu’un nom, « Anta Madjiguène Ndiaye » est une identité. « Ndiaye » lui rappelait de quelle terre elle était fille, et qu’elle était descendante de Ndiadiane, premier du nom, le mythique fondateur du royaume du Djolof. « Madjiguène » lui disait qui lui avait donné le jour, selon la coutume des Wolofs d’ajouter au prénom, y compris du garçon, celui de la mère. Que « Anta » fût devenue, sans doute par proximité dans la prononciation, « Anna » n’y changeait rien : qui elle était et qui elle se devait d’être, cela était inscrit dans ce nom qui fut son talisman.

Bien qu’elle ait été arrachée à sa terre natale à treize ans, le récit de sa vie de femme fait apparaître en effet qu’Anta, même après avoir passé « la Porte du Non Retour », n’aura jamais cessé d’être une djolof-djolof, ainsi qu’on appelle les habitants du royaume de son enfance. Daniel Schafer l’a bien compris, qui a accordé toute sa place, dans cette biographie, à l’histoire de ce qui fut d’abord l’Empire du Djolof entre le milieu du XIVe siècle et le milieu du XVIe, avant qu’il ne soit réduit à une royauté par de multiples sécessions. Le Djolof des origines, né lui-même d’une séparation d’avec l’Empire du Mali, regroupait différentes populations de la Sénégambie et du Sud de la Mauritanie actuelle dont, majoritairement, des personnes d’ethnie et de langue wolofes. Le Djolof était donc, ainsi que l’indique le nom, la terre des Wolofs, sur laquelle régna la dynastie des Ndiaye, jusqu’au dernier d’entre eux, Alboury, dont le règne prit fin en 1890, huit ans avant sa mort en tant qu’opposant irréductible à la pénétration française. Après quoi le royaume fut incorporé à la colonie que devenait alors ce qui est aujourd’hui le Sénégal. Retracer à grands traits l’histoire du Djolof n’est pas seulement ici revisiter les origines de la princesse Anta Madjiguène, c’est également inviter à comprendre que cette histoire est inscrite dans celle, globale, de l’espace atlantique.

Une femme puissante

La vie d’Anna que raconte Daniel Schafer nous apprend qu’Anta devint une femme puissante qui inspira le respect à son maître, lequel lui rendit vite sa liberté et la reconnut pour son épouse en lui confiant la gestion de ses biens ; qui montra un extraordinaire courage physique lors de l’insurrection de 1812 fomentée par les États-Unis pour annexer la Floride espagnole, lorsqu’elle mena une expédition pour mettre le feu à sa propre demeure, afin d’empêcher qu’elle serve d’abri aux miliciens ; qui prit le risque de revenir d’Haïti dans la Floride d’après la guerre civile, de plus en plus inamicale envers les Noirs libres, pour faire valoir ses droits à l’héritage laissé par son mari.

On eût certes aimé que celle qui avait créé autour d’elle une communauté d’hommes et de femmes « de couleur » libres, et, selon le mot de l’historienne féministe sénégalaise Penda Mbow, manifesté « l’esprit de la femme wolofe dans la diaspora africaine », n’eût point possédé les esclaves dont elle disposa avec ses autres biens dans le testament qu’elle rédigea en 1860, dix ans avant sa mort. Il demeure qu’Anta Madjiguène Ndiaye a su faire d’une vie qui aurait pu et dû être saccagée, ruinée à jamais au seuil de l’adolescence, le témoignage qu’en l’humain l’humanité est indomptable – ai-je rappelé que « Ndiaye » est aussi le nom du lion ? –, ainsi qu’un hymne à la liberté.

Souleymane Bachir Diagne, bio express

Né au Sénégal, Souleymane Bachir Diagne est l’une des voix africaines contemporaines en philosophie des plus respectées. Il est spécialiste de l’histoire des sciences et enseigne à l’université Columbia de New York.Anna Madgigine Jai Kingsley. Princesse en Afrique, esclave en Floride, de Daniel L.Schafer, sort ce 1er octobre aux éditions Albin Michel. Préface de Souleymane Bachir Diagne, 288 p., 22,90 euros.

 

 

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